Alors que le ministère de la Santé publique et de la population publiait régulièrement de manière complète depuis le 20 mars dernier les statistiques relatives à la gestion du Covid-19 dans le pays, les observateurs n’ont pas manqué d’exprimer leur étonnement au cours des trois à quatre dernières semaines à propos d’un écart anormal entre le nombre de guéris et le nombre de morts de la pandémie. En effet, il est apparu presque tout le long de la gestion du Covid-19, d’après les données des bulletins quotidiens du MSPP, une anomalie choquante qui montrerait que le nombre de morts du Covid-19 est de loin supérieur à celui des guéris. Certains journaux ont consacré des articles sur cette question. Ainsi, du National du 2 avril dernier. Les organes de presse écrite et les réseaux sociaux avaient aussi pointé du doigt cette anomalie au point que dans le P. Alerte diffusé le 8 juin sur Internet, on pouvait lire la réflexion suivante d’un médecin : « Ils nous cachent des trucs, du moins, c’est ce que vont penser les gens pour la plupart ».
Mon propos dans le texte qui suit sera d’analyser par rapport aux ratios internationaux le différentiel des statistiques publiées par le MSPP entre le nombre de personnes guéries et le nombre de personnes décédées du Covid-19 et d’expliquer l’anomalie qui a longtemps caractérisé cet écart anormal que l’on ne retrouve dans les données d’aucun autre pays. À cette fin, j’emploierai une méthode comparative en me référant aux principales bases de données mondiales sur la pandémie.
1 Qu’observe-t-on en termes d’écart des taux de guérison entre les pays en proie au Covid-19 ?
1.1 Les écarts des taux de guérison entre les pays en proie au Covid-19
Il faut d’abord rappeler que le taux de guérison représente le rapport entre le nombre de personnes rétablies et le nombre d’individus qui ont été infectés par le coronavirus – que l’on désigne généralement par le terme de cas confirmés. Dans les pays où les statistiques sont bien tenues, le taux de guérison varie généralement entre le quart comme pour les États-Unis et 90% pour des pays comme la Chine et le Danemark, voire 95%.
1.1.1 Les pays affichant les taux de guérison les plus élevés
Les chiffres les plus élevés correspondent à la situation de pays disposant de bonnes infrastructures médicales et de très bons laboratoires comme Cuba (85%), le Japon (88%), le Maroc et la Corée du Sud (89%), l’Allemagne (91%), la Chine (94%), la Norvège, le Vietnam et la Serbie (95%), lesquels ont bien géré la pandémie dès le départ. Ce sont des pays qui avaient mis en place une stratégie nationale efficace et précoce de lutte contre la maladie à travers une politique de dépistage systématique dès le déclenchement de la pandémie, l’identification rapide des premiers foyers de contamination du Covid-19 (les clusters), la généralisation des mesures barrière contre la maladie et enfin le suivi systématique des contacts des malades du nouveau coronavirus (le tracing ou contact des contacts).
1.1.2 Les pays affichant des taux de guérison confortables
Nous faisons entrer dans cette catégorie les pays qui affichent des taux de guérison compris entre 60% et 80 %. Cette liste comprend des pays disposant de bonnes infrastructures médicales, mais qui ont failli en termes de stratégie nationale de lutte contre le coronavirus ou qui n’ont pas pu se procurer à temps les matériels et équipements de protection contre la maladie, notamment les tests de dépistage et les masques de protection respiratoire. L’Espagne (62%) et l’Italie (70%) font figure de champions dans cette catégorie de pays avec chacun plus de 30 000 morts. Il faut y inclure des pays actuellement au stade du pic de la pandémie comme la République dominicaine (60%), l’Algérie (66%) et d’autres qui ne sont qu’à la phase 2 du développement de la pandémie.
1.1.3 Les pays affichant des taux de guérison très moyens
Ils sont assez nombreux les pays qui entrent dans cette liste qui compte les pays qui affichent des taux de guérison entre 40% et 60%.
Cependant, la comparaison des taux dans cette catégorie de pays se révèle difficile parce qu’on y retrouve d’une part des pays qui sont « en fin de pandémie » comme la France (46%), des pays au pic de l’épidémie comme le Brésil (43%), le Pérou (45%), l’Inde (48%), plus des pays encore dans la phase 2 du développement du Covid-19 comme la Côte d’Ivoire (48%) et le Cameroun (58%).
1.1.4 Les pays affichant de faibles taux de guérison
Nous considérons comme faibles les taux de guérison compris entre 20% et 40%.
Cette catégorie regroupe des situations diverses depuis les États-Unis où le taux de guérison ne dépasse pas 26% jusqu’au Gabon (26%) et au Madagascar (22%) en passant par le Ghana (36%).
Le cas des États-Unis où la maladie a pris pied le 21 janvier 2020 est lié à la pratique d’une politique de dépistage massif portant sur 500 000 tests journaliers, mais la gestion de la pandémie a pâti cruellement des oppositions entre les deux partis politiques de ce pays. À l’opposé, la maladie a fait son apparition nettement plus tard dans les pays africains, le premier cas relevé dans le continent remontant au 14 février en Égypte.
1.1.5 Les pays affichant des taux très bas de guérisons
Cette catégorie regroupe des pays pauvres qui affichent de faibles taux de guérison. Il faut prendre en compte l’absence de suivi des malades qui, une fois qu’ils sont sortis de quarantaine ou des centres de traitement, disparaissent souvent des radars du système de santé. Ce qui est sans doute le cas d’Etats faillis comme la Sierra Leone (1%), le Yémen (4%), le Honduras (11%), le Congo démocratique (13%), la Somalie (18%).
2. Qu’en est-il des taux de guérison pour Haïti ?
Si on suit dès le début la courbe des taux de guérison du Covid-19 pour Haïti, on y aperçoit plusieurs anomalies. On sait que la première guérison a été annoncée le 29 mars, soit 10 jours après la déclaration du premier cas confirmé dans le pays. La seconde guérison date du 22 avril, puis six guérisons ont été annoncées le 24 avril, suivies de sept le 26 avril pour 74 cas confirmés, huit le 27 avril (76 cas), 10 le 1er mai (85 cas),16 le 7 mai (129 cas), où il y avait encore plus de guéris que de morts (12). Mais, les choses ont commencé à s’inverser à partir du 15 mai où le bulletin du ministère avait fait état de plus de morts (29) que de guéris pour 310 cas confirmés. On a l’impression que c’est à partir de mi-mai qu’on a perdu le contrôle de la situation pour le nombre de patients guéris du Covid-19.
Avec les 310 cas au 15 mai, on devrait compter au moins une soixantaine de guéris eu égard aux comparaisons avec les ratios internationaux. Et au 7 juin, où le bulletin du ministère de la Santé publique et de la population avait avancé le chiffre de 3 538 cas confirmés, on devrait en être à au moins 800 malades guéris alors que l’on voit afficher à la place des patients guéris le sigle N.D.
L’utilisation du sigle N.D remonte à la semaine dernière à la suite des critiques qui ont été exprimées à l’endroit des données du ministère de la Santé publique et de la population relativement au nombre de guéris. Rappelons que le journal Le National avait titré au 2 juin dernier un article au ton ironique intitulé : « Covid-19 : Plus de morts que de guéris, le pays sombre dans l’incertitude ».
Le rédacteur de l’article s’était étonné de voir que le nombre de guérisons, une vingtaine, correspondait à la moitié de l’effectif des individus décédés.
Certains même ont cru que comme dans le journal Rezonòdwès dans son numéro du 8 juin 2020 que le chiffre des guéris est effectivement très bas (24) et allant jusqu’à indiquer que seul 0,72% des malades du Covid-19 étaient rétablis.
Nous rappelons à cet égard qu’il ne peut que s’agir d’un problème de suivi statistique et qu’il faut raisonner sur la base des ratios internationaux spécifiques de la pandémie qui permettent d’estimer qu’à ce jour au moins 800 personnes ni vues ni connues depuis qu’ils ont été testées positives ou hospitalisées ont été guéries de la maladie.
Rappelons qu’on ne peut déclarer que les malades ont été guéris qu’après avoir suivi un test sérologique un mois après qu’ils ont été « exeatés » ou après une quarantaine domiciliaire. Ce qui n’a surement pas été fait s’ils ont disparu des radars s’ils ont décidé unilatéralement qu’ils sont rétablis.
Conclusion
Nous avons essayé de montrer dans cet article qu’il existe depuis mi-avril un problème réel de comptage ou de connaissance du nombre d’individus guéris du Covid-19. Il apparaît que les personnes rétablies de la maladie échappent au contrôle du système de santé qui a longtemps publié des statistiques concernant les patients rétablis, qui ne collaient pas avec la réalité. Ce qui n’est nullement étonnant quand on connaît les difficultés de suivi des malades et les prises de décision des patients qui estiment qu’ils n’ont plus besoin des services médicaux. Nous espérons au terme de cet article que ces explications fondées sur des ratios fondamentaux en lien avec la maladie contribueront à rassurer ceux qui se posent des questions angoissantes sur le devenir des malades du Covid-19 en Haïti. Il suffit de se rappeler que 80% des personnes souffrant du Covid-19 guérissent de manière spontanée de la maladie.
Jean SAINT-VIL
jeanssaint_vil@yahoo.fr
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