Le soleil rayonnant de notre pays fait de l’ombre à l’espace que nous avons créé pour donner un dégoût à la vie. Mai s’ouvre sur nos bêtises.
Dans un élan de nostalgie, avec la voix retrouvée de Gérard Dupervil, j’ai envie d’imprimer dans les cœurs les paroles qui chantent l’ère du temps.
Paroles
Mai fleur de mai le printemps rassemble des voix
Pour bercer de chanson nos tendresses
Mai la fleur des caresses
Déjà j’veux dans le soir tes grands yeux noirs
Mai fleur de mai je voudrais me griser de toi
Jusqu’au bout de l’ivresse jusqu’à l’aube
Dans les plis de ta robe
Enfermer toutes les chansons de la saison
Je te propose mes sentiers près du ciel
Où les baisers s’effeuillent au carrefour
Je te propose mille sentiers éternels
Où nos vœux brillent au flanc du jour
Je te dédie mes soupirs d’autrefois
Tous mes chagrins et toutes mes joies
L’ombre t’attend fleur de mai viendras-tu
Au rendez-vous des promesses du printemps
Gérard Dupervil
L’émotion unique de la chanson du barde de Miragoâne (1932 – 1994) ressuscite en moi l’humanité, le goût pour les choses simples : un beau ciel d’Haïti au-dessus de ma tête, une fleur qui s’épanouit dans sa grâce sur une tige, un oiseau qui vole dans le ciel et qui me berce de sa chanson, un enfant qui babille dans le voisinage. Que modulent ses petites cordes vocales qui me poussent à aimer la vie ?
Et si de belles pensées pourraient fleurir dans nos cerveaux ! Pendant que j’écris, là, maintenant, ma servante qui vit dans les zones rouges de la périphérie de Port-au-Prince vient de me donner une nouvelle : « Mesye Bèna. Ou konen yo tiye Ti Je ? Wi, yo tiye l » L’élan de mon texte se casse. Je me remémore la tuerie à Carrefour-Feuilles, quartier où elle vit. Je flaire sa peur de retourner chaque jour dans ce milieu infesté de bandits. Je sens quelque chose de toxique remplir mes os.
J’ai comme pris conscience que quelque chose est cassée en moi. Je retiens mon souffle. Mes doigts, encore une fois, effleure le clavier de l’ordinateur. J’écris. Une inquiétude me noue la gorge. Je n’ai pas d’électricité, mon ordinateur se décharge. Mes idées s’embrouillent. Je compte le peu d’énergie qui me reste dans un coin du cadran.
Je reviens à l’idée de départ. Je suis parti avec l’émotion de Fleur de mai de Gérard Dupervil et je me demande, là, maintenant : au lieu d’avoir des pensées qui verrouillent notre cerveau, du genre « peyi a lòk », « imaginasyon nou zipe », ne pouvons-nous pas faire un effort de cultiver des pensées généreuses, celles qui célèbrent l’abondance en Haïti ? On serait plus sensible au sort de notre peuple. Invitons-nous au festin de la pensée à imaginer une belle floraison économique pour Haïti. Ouvrons nos cœurs comme ce beau ciel qui surplombe Haïti. Ouvrons nos cœurs comme ce ciel vaste pour tout le monde. C’est ce cœur, ces pensées positives pour Haïti qui transformeront même les cyniques en amoureux de notre île. Nos politiciens peuvent se transformer aussi en artistes de la politique pour concevoir la beauté dans ce qu’ils entreprennent. Amour et beauté pour transformer notre monde. Amour comme loi. Folle idée, n’est-ce pas ? Une folle idée est-elle possible ? La haine a fait son chemin en Haïti, elle s’est amplifiée à travers toutes les strates de notre société et a engendré un État comme monstre depuis sa création. Cet État, depuis son enfantement, est destructeur dans toutes ses composantes. Osons l’amour et la beauté comme lois pour cette floraison économique dont nous rêvons tous depuis des siècles.